…et qui n’a jamais fonctionné.
Aujourd’hui, je vous parlerai d’une partie de cette usine de Grand-Anse. Que dis-je d’un appendice …d’un intestin qui n’a jamais servi et qui des décennies plus tard est toujours là…enfin quelques pièces. Témoin d’une aventure avortée au sein du monde mystérieux du sucre. Je m’en vais vous raconter l’histoire du chromatographe de l’usine de Grand-Anse. Tantantan…
Vous: 
Mé ka sa yé ankò? Ka fiy la ka Di la ankò…i pé pa ay la plaj?
Moi : mais si mais si mais si, pour citer Little Dol. C’est le chromatographe enfin…c’est un procédé de séparation chimique qui permet de récupérer le maximum de sucres de la betterave. Théodore Martin, le directeur général d’Erstein, basé en Alsace, en a visiblement assez en cette fin des années 1990 d’importer trop de sucre alors qu’il y a une usine sur le territoire français (à Marie-Galante) qui fait partie du quota A sucrier, le plus rémunéré. Mais c’est du sucre de canne. Ici, des images du silo de sucre à Folle-Anse. Des dunes de sucre en partance pour le monde.
Il faut donc augmenter le rendement de sucre de cette petite usine. Et rien de mieux que de solliciter Applexion qui travaille déjà pour Erstein sur d’autres prestations. La commande est simple (enfin en a l’air): récupérer le sucre qui reste dans la mélasse après qu’on ait déjà récupéré quand même une bonne partie dans les sucres 1er, 2e et 3e. Une sorte de pierre philosophale pour, non pas transformer le plomb en or, mais la mélasse en cash money du sucre.
Voir cette publication sur InstagramMélasse Molasses Marie-Galante, pays de Mélasse #industrie #guadeloupe
Il faut dire que dès la reprise par Erstein l’usine de Grand-anse a des pertes astronomiques dès 1996. En gros, 175 millions de francs. Donc peut-être que le groupe a trouvé dans ce procédé une façon de rebondir. Ça a l’air sympa vu comme ça d’ailleurs tout le monde a suivi à l’époque. Le chromatographe est financé par la Région, Erstein et sans doute d’autres fonds d’aides. Lors de l’inauguration, un prêtre est même là pour bénir les installations selon les notes de Michel Joséphine, alors cadre à l’usine à cette époque. Il faut quand même rappeler que la mélasse est utilisée pour faire de l’alcool, du rhum quoi et qu’il faut qu’il en reste dedans du sucre pour que cela donne du rhum. Mais bon pour l’instant, on reste sur le sucre.
Donc, en 1997 environ, Applexion se met au travail et adapte des machines destinées à la betterave pour la canne à sucre. Le chromatographe promet 97% de récupération de sucre dans la mélasse.
“C’est une première mondiale, ça ne s’est fait nulle part. La machine a fonctionné pendant deux ou trois ans et ensuite le projet a été abandonné parce que le sucre est devenu moins rémunérateur”,
me livre le responsable d’Applexion de l’époque qui travaille aujourd’hui pour un autre géant de l’agroalimentaire. C’est lui qui a mené le projet mais lui il n’est jamais venu à Marie-Galante. Et tout ça, c’est en labo. Sauf que sur place, les employés de l’usine aidés d’ ingénieurs d’Applexion qui ont mis un an à installer le chromatographe, ils ont une autre version:
“Ça n’a jamais fonctionné, La liqueur censée livrer le sucre restant dans la mélasse s’est mise à mousser. Elle s’est évaporée. On a été des cobayes. On n’a jamais eu de sucre de mélasse”
me confie un employé de l’usine, encore amer.
31 millions de francs la blague!! Toujours selon les écrits de Michel Joséphine.
L’ancien responsable d’Applexion, cité plus haut, interrogé sur le coût du chromatographe, réagit à la somme avancée, de façon perplexe: “nous ce qu’on a livré a coûté beaucoup moins que cette somme mais nous n’étions pas le seul opérateur“.
Dans un coin de l’usine, il reste quelques vieilles cuves rouillées, des branchements, des valves. Tout ça c’était un sacré machin avec des tubes impressionnants. Des filtrations de 15m3, des filtres à base de résine…
Le procédé de chromatographie continue est une technologie avec beaucoup d’automatismes et de vannes et demande un pilotage précis et continu très différent du fonctionnement d’une sucrerie de cannes (plutôt manuel). De plus, le produit qui rentre dans les colonnes doit être absolument filtré de toutes particules solides pour éviter de colmater les colonnes.
Et c’est pas fini…(Mais non, car dans le sucre, quand y en a plus y en a encore…). Car le chromatographe devait fonctionner avec d’autres produits, du sel par exemple ou bien encore de l’acide phosphorique. Il y en avait sur une grande surface de cet acide dans l’usine. Allez à la louche, un employé me dit qu’il y en avait environ 1000 fûts de cet acide pas mignon qui s’est mis à attaquer le métal des fûts puis à attaquer le sol. Il a fallu les mettre en cubitainers plastiques puis les faire traiter. 50 000 euros la blague! Et ça n’a été pris en charge par une société spécialisée qu’en 2010. Soit douze ans après l’abandon du chromatographe. Cette histoire a sans doute provoqué le désengagement d’Erstein de l’usine de Grand-Anse, dont l’exploitation a ensuite été reprise par Cayard. De cette histoire, on n’entendra jamais parler. Même les politiques n’en pipent mot parce que tout le monde a l’air Gros-Jean comme devant.
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