Cette histoire, c’est un peu pot de terre contre pot de fer! La SA Pajamandy, dont le siège se situe à Sainte-Rose, prend part à l’appel d’offres lancé par la Communauté de Communes de Grand-Bourg le 3 juin dernier. Sur 14 lots (des circuits), deux ont été remportés par cette société, véritable poids lourd du marché guadeloupéen avec plus d’une centaine de bus à son actif sur le continent. Voici quelques clés afin de vous permettre de suivre et de comprendre ce conflit.
La colère des transporteurs marie-galantais est palpable. Ils craignent que ce ne soit le début de l’entrée d’autres gros opérateurs du transport et pas seulement sur les circuits scolaires qui ne concernent qu’une minorité d’élèves, environ 350 enfants inscrits l’an dernier. Alors que même la CCMG dit regretter qu’une partie du marché de transport scolaire soit allée à une “entreprise extérieure à l’île”, il semble que des mesures auraient pu être prises en amont afin d’éviter cette situation. Tour d’horizon.
Lundi 5 septembre : Premier couac, pas de bus pour la rentrée sur les lignes de la SA Pajamandy
Publiquement, tout commence lundi 5 septembre, en plein jour de rentrée. Des enfants de l’école Diallo-Boécasse, école de l’Etang-Noir à Capesterre de Marie-Galante, restent à faire le pied de grue à l’arrêt de bus. Ecoutez le témoignage d’une maman, Lisa et de son fils, Ethan
Ethan fait partie de la vingtaine d’enfants de l’école Diallo-Boécasse qui empruntent l’itinéraire desservi par les lots Pajamandy. Les lots 1 et 9 qui ont été octroyés à la SA Pajamandy n’ont pu être assurés. Si on ajoute les lycéens de Capesterre, ce sont quelques dizaines d’élèves qui sont concernées.
Un retard de notification d’attribution du marché
Un retard de notification de l’attribution des marchés a occasionné un premier raté, reconnait la CCMG, en avançant des contraintes administratives et des délais de recours, ne permettant pas de notifier officiellement le marché aux transporteurs avant la rentrée. “Si les 12 lots des transporteurs de Marie-Galante ont pu démarrer dès lundi, l’entreprise Pajamandy a souhaité attendre de recevoir la notification officielle pour envoyer ses bus de Guadeloupe jusqu’à Marie-Galante par la barge, ce que je ne peux pas lui reprocher mais qui occasionne un délai supplémentaire », précise Maryse Etzol dans sa déclaration vidéo datée du 6 septembre (à retrouver plus bas). La CCMG indique n’avoir appris cela que lundi 5 septembre. Trop tard pour prévenir les parents des deux circuits Pajamandy, incluant les lycéens de Capesterre et l’école primaire de l’Etang-Noir à Capesterre. Les parents de ces derniers avaient ainsi déposé leurs enfants aux abribus le matin dès 7h sans rien savoir de la situation. Certains restant sans surveillance aux arrêts, pendant plus d’une heure, occasionnant l’inquiétude des parents. Ceux-ci convoquent une réunion lundi après-midi devant l’école de l’Etang-Noir et appellent à se rendre dès le lendemain à la CCMG
M. Pajamandy : “Il y a un peu trop de désordre (…) On ne peut pas faire n’importe quoi”
M. Thomas Pajamandy, contacté par téléphone par Foufougong, indique que le fait qu’il n’y ait pas eu de bus à la rentrée, “ce n’est la faute de personne”. “Il y a un peu trop de désordre. Il faut que les élus comprennent qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. Il faut valider le marché avant de commencer. On doit respecter les règles”. L’entrepreneur interrogé sur ses motivations à s’intéresser à un petit marché comme celui de Marie-Galante, indique qu’il est intéressé par le marché marie-galantais, car il le peut. “Je suis guadeloupéen, je peux aller en Martinique, à Marie-Galante”, dit-il sans plus d’explications. Thomas Pajamandy laisse entendre qu’une option de sous-traitance aurait été possible avec un opérateur marie-galantais mais qu’elle ne l’est plus maintenant: “J’ai obtenu ces lots et je vais assumer ces contrats moi-même”, a-t-il confié de manière décidée, le 7 septembre dernier. Il est alors prévu que les circuits seraient assurés à partir de vendredi 9 septembre. Les bus sont alors attendus à Folle-Anse la veille.
Une opération des transporteurs à Folle-Anse : une entrave à l’arrivée des bus de l’entreprise Pajamandy
Jeudi 8 septembre, 8h du matin, une vingtaine de transporteurs se sont mobilisés après avoir assuré leurs circuits de transport scolaire et permis le débarquement des marchandises arrivant par la barge Carib Désir, ils ont positionné leurs véhicules. Revoir la vidéo ici:
Selon les transporteurs, des emplois sont en jeu avec l’arrivée de ce nouvel opérateur et à part le transport scolaire, d’autres secteurs se sentent également menacés confie MMe Fabienne Montout, gérante de la société de transport Magauto. Elle en parlait en direct sur le Live Foufougong jeudi 8 septembre
“Tout le monde se sent concernés que ce soit du touristique, de l’urbain ou de l’occasionnel, tout le monde est concerné par ce problème”. Nous avons du matériel, nous avons fait les investissements. Nous sommes une vingtaine de transporteurs. Le gâteau n’est pas suffisamment important pour être partagé par tout le monde” et des emplois seraient en jeu, affirme la gérante.
Les opérateurs marie-galantais ont été meilleurs techniquement et au mieux-disant sur 12 lots sur 14 mais peuvent-ils lutter longtemps contre un mastodonte du transport ?
« On laisse rentrer un loup pour nous tuer »
« Dans quatre ans, on est morts » peut-on entendre certains transporteurs proférer.
Le marché représente peu d’élèves mais tout de même une somme conséquente pour un budget de collectivités : plus de 400 000 euros. Ce n’est pas la première fois que la SA Pajamandy tente de pénétrer le marché marie-galantais. Précédemment, vers 2013, quand la Présidence de la CCMG était assurée par M. Harry Selbonne (sollicité pour une interview mais n’ayant pas donné suite), les offres du groupe Pajamandy n’avaient pas été retenues. Sur l’appel d’offres publié le 3 juin dernier dont la date limite de réponse était le 11 juillet, la SA Pajamandy a postulé aux 14 lots. Résultat : 9 lots ont été attribués à MTA, le groupement des transporteurs Montout, Transport Glovert, Transport Urie, Magauto, 3 au transporteur Attaud et Fils et 2 à la Sa Pajamandy. De source proche du dossier d’appel d’offres, les transporteurs locaux auraient effectivement été bons techniquement et au mieux-disant sur les 12 lots attribués mais pas sur les deux qui sont finalement partis à la SA Pajamandy. Même si ce ne sont que deux lots, les transporteurs marie-galantais voient cela avec inquiétude. Il faut dire que sa force de frappe fait peur. La société affichait plus de 2,4 Millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020. Selon un salarié, l’entreprise compterait, plus d’une centaine de bus alors certains craignent déjà pour le prochain appel d ‘offres. Leur sera-t-il possible de rester compétitifs face à une telle société qui n’a pas les mêmes contraintes de renouvellement de véhicules?
Les transporteurs locaux sont restés deux ans à travailler sans être payés
Jean-Marc Glovert : « Nous avons servi de banque à la CCMG durant des années »
Autre élément qui déconcerte les transporteurs c’est la situation difficile dans laquelle d’anciennes dettes de la CCMG ont mis les entreprises de transport il y a quelques années alors que les professionnels, eux, affirment n’avoir jamais stoppé le service. “C’est arrivé qu’on n’ait pas été payés pendant plus de deux ans, on a tenu sans demander d’intérêts moratoires. On entendait les difficultés de la CCMG et ce n’était pas la peine d’enfoncer qui que ce soit », décrit l’entrepreneur en rappelant la dette d’un million d’euros, aujourd’hui soldée par la CCMG.
Des entreprises fragilisées
Le transporteur de Capesterre relie ces anciennes dettes à des problèmes d’équipements. « On ne peut pas acheter de bus plus récents”. Jean-Marc Glovert fait également remarquer que les contrats de deux ans sont trop courts en garantie pour les concessionnaires. « Quand on va voir un concessionnaire, on nous dit qu’il nous faudrait au moins un contrat de cinq ans », décrit le transporteur.
Marie-Galante, protéger son marché, est-ce possible légalement ?
Dans une vidéo diffusée mardi 6 septembre dans la soirée sur les réseaux sociaux, Maryse Etzol, présidente de la CCMG, explique le processus du marché public avec des exigences techniques et de prix au mieux-disant tout en exprimant son regret suite à « l’arrivée d’une entreprise extérieure au territoire ». « Cependant, je ne peux qu’appliquer le code de la commande publique et respecter le cadre juridique qui m’est imposé », poursuit l’élue. Retrouvez ici la vidéo diffusée sur la page Facebook officielle du Dr Maryse Etzol, Présidente de la CCMG
Or, selon un avocat spécialisé en droit public, tout cela aurait pu être évité
Pour Me Lionel Armand, installé à Pointe-à-Pitre, tout cela aurait pu être évité tout en restant dans les clous du code des marchés publics.
La totalité de sa publication est à retrouver ici…
En substance, l’avocat met en exergue certaines clauses qui auraient, selon son expertise, pu être rajoutées afin de mettre en avant la proximité des bus avec le marché de desserte. “Le transport des fournitures et on le voit très concrètement pour ce qui est du transport de bus, peut être un critère de sélection. Il pourrait être imaginé un critère comme le déplacement des fournitures, le déplacement du personnel ou la rapidité d’intervention du prestataire”. Mais par dessus tout, l’avocat insiste sur le fait de préparer les entreprises à répondre à des marchés.
Le dialogue entre la CCMG et les partenaires locaux
“On le sait, le transport scolaire marie-galantais est un tissu économique fragile et une réflexion un peu plus profonde sur les raisons d’un tel marché et les raisons d’attribution d’un tel marché auraient pu permettre d’éviter ces écueils”, poursuit l’avocat qui rappelle également qu’il est “parfaitement possible pour une collectivité de mettre en place des ateliers et des séminaires qui permettraient de répondre au mieux à cette commande publique”. Pour l’heure, le marché doit être exécuté en l’état sauf si des recours sont envisagés. “On est quand même dans une situation assez délicate mais pas non plus inextricable”, conclut l’avocat.
En attendant, un communiqué diffusé par la CCMG indique que jusqu’à nouvel ordre, les lignes 1 et 9 ne sont pas desservies. Il est disponible ici : Communiqué CCMG
Jusqu’à quand durera cette situation?
Il semble que les jours prochains seront décisifs car si la SA Pajamandy décide de porter devant la justice cette affaire, cette situation risque de devenir problématique et coûteuse. Une autre solution, selon les transporteurs, serait que la société abandonne d’elle-même son marché, obtenu, on le rappelle de manière réglementaire.