Fin octobre, une journée en ambulatoire s’est transformée en périple de deux jours au bout desquels une jeune femme souffrant de sa cheville cassée n’a finalement même pas été opérée. Laissée plusieurs fois à jeun pendant plusieurs heures, elle s’est vue opposée le fait que le manque de personnels (en grève) affecte le fonctionnement des services. Mais est-ce bien la seule raison? Voilà le récit de Léonie V. qui a détaillé pour Foufougong son périple sanitaire qu’elle a également documenté sur son profil Facebook et qui pose de sérieuses questions sur la continuité des soins au sein du centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe actuellement.
Je vous raconte tout en détails, nous dit-elle avant de nous écrire ce texte intitulé
“Synopsis de la Casa del CHU”
Une journée en ambulatoire qui se transforme en nuit à l’hôpital entre attente et tensions
JOUR 1, Jeudi 28 octobre : “Je suis à jeun, depuis 22h la veille et après 1h de bateau (en provenance de Marie-Galante), j’arrive à 8h au CHU de Pointe-à-Pitre dans le service de chirurgie orthopédique pour une intervention de la cheville programmée depuis le 28 septembre.
Ma prise en charge se fait vers 8h45 et on me confirme que mon intervention est bien prévue puisque je figure sur la liste des ambulatoires du jour. On m’installe sur un brancard après les protocoles administratifs et d’hygiène nécessaires.
Nous sommes à ce moment là 7 dans la salle avec diverses pathologies. L’infirmière présente sur place nous indique que ça risque d’être long par rapport au mouvement de grève interne à l’hôpital, ce que je comprends tout-à-fait vu que le personnel soignant est en partie manquant.
Je prends donc mon mal en patience….
Au fur et à mesure que les heures s’écoulent, je constate que la salle se vide progressivement donc je m’interroge et interroge également les soignants sur mon heure de passage. On me confirme que je serai la dernière personne à être opérée. Pour passer le temps, je publie mon ennui et ma faim sur ma page Facebook vers 11h.
Les heures continuent de défiler et je les informe que je reprends le bateau à 17h et leur demande si ce sera jouable pour le timing et là on m’informe que ça ne va pas être possible d’effectuer mon retour le soir-même par rapport au protocole anesthésie, intervention, réveil. A ce moment là, il est encore question d’être opérée le jour-même.
Une nuit à l’hôpital, j’avais prévu le coup avec un sac de rechange au cas où.
14h 30 : Je suis toujours à jeun quand une infirmière vient m’annoncer que malheureusement le chirurgien ne pourra pas m’opérer aujourd’hui et qu’il passera me voir plus tard. Je suis étonnée et en colère parce que je ne comprends pas pourquoi j’ai un cathéter planté dans le bras.
“Vous avez qu’à vous en prendre a ces cons de grévistes pour un vaccin ils font chier tout le monde”.
Vers 15h30 : le chirurgien arrive et commence à me donner des explications. Tout d’abord, il y avait trop de personnes âgées à opérer. Il m’indique que cela va être impossible de m’opérer ce jour. Je commence à monter le ton car je suis réveillée depuis 4h du matin, j’ai fait un pèlerinage pour arriver jusqu’à l’hôpital sans compter les rendez-vous avec l’anesthésiste, test PCR, prise de sang qui dans mon cas signifient que j’ai dû faire plusieurs allers-retours sur la Guadeloupe continentale. Il faut également préciser que cela a nécessité une réorganisation de mon planning de travail et celui de mes collègues car mon employeur a dû remanier tout le planning pour le mois à venir. Mon absence étant prévue pour au moins 3 semaines. Je lui demande alors si l’opération sera possible demain.
Il me dit non et lève le ton à son tour en me disant “vous avez qu’à vous en prendre a ces cons de grévistes pour un vaccin ils font chier tout le monde”.
Je lui réponds à mon tour que ce n’est pas mon problème, que je ne travaille pas à l’hôpital et que dans ces cas-là, il fallait reporter les interventions mais qu’on ne fait pas quelqu’un galérer comme ça toute la journée pour finir par lui dire de rentrer chez lui.
Il me tourne le dos et s’en va…donc à ce moment là je commence à faire mon hystérique tellement la situation est absurde. De tout cela ressort que j’étais programmée dans le service mais pas au bloc opératoire car la coordinatrice n’avait pas transmis l’information.
Le chirurgien revient après quelques minutes et s’excuse car j’étais en larmes à ce moment-là.
Il me dit qu’ils vont m’installer dans une chambre et que mon intervention aura lieu de lendemain.
La pression retombe et on m’installe en chambre une heure plus tard en me proposant un repas sans sel. Je préfère manger un sandwich puis de nouveau à jeun.
Deuxième jour et toujours pas opérée
JOUR 2 , Vendredi 29 octobre, 05h15 : Réveillée par le passage d’un infirmier pour ma voisine de chambre. Je me prépare pour mon intervention protocole de lavage etc… et je demande à une infirmière si éventuellement elle sait à quelle heure je devrais passer. Elle me répond qu’elle pense que je serai la première ce qui me soulage un temps.
Sauf que…
09h00 : Ma voisine de chambre prend son petit-déjeuner. L’odeur du café malmène mon ventre car c’est habituellement ma première boisson de la journée. Je serre les dents et oblige mon estomac à fermer sa bouche. Les heures passent et j’interpelle encore une fois l’infirmière: « avez-vous une idée de l’heure à laquelle mon intervention est prévue? », lui demandais-je.
Je lui indique qu’il est déjà 11h et qu’après ça va être compliqué pour rentrer chez moi le soir.
Elle me répond qu’il y a une personne ensuite puis que ce sera mon tour mais qu’elle va s’enquérir de savoir si elle peut faire quelque chose pour moi.
Sauf que…
J’aperçois après quelques minutes les brancardiers qui viennent récupérer le patient de la chambre d’à côté donc il va falloir attendre finalement..mais bon bod lanmè pa lwen..
14h00 : Je commence à faire une crise d’angoisse et j’appelle ma mère qui tente de me rassurer.
“Il m’a dit qu’il fallait qu’ils mangent”
Il est 16h : Enfin, un chirurgien que je ne connais pas du tout arrive enfin dans ma chambre. Il me regarde et à son air gêné je vois qu’il y a un problème, il m’annonce encore une fois que je ne serais pas opérée cette fois-ci. Il y a eu un accident de la circulation, visiblement il a fallu réopérer un patient et il me dit également qu’il faut que l’équipe mange. Ce à quoi j’ai rétorqué en lui demandant si ça ne le dérangeait pas que moi je sois à jeun depuis plusieurs heures.
Mais il n’en démord pas, il est 16h et c’est à cette heure-ci qu’ils arrêtent.
Curieuse de savoir s’ils vont m’opérer demain, je lui pose la question et là il m’annonce que non “car c’est le week-end prolongé pendant 4 jours. Il n’y a visiblement pas de bloc les jours fériés. Mais il m’annonce que je peux rester à l’hôpital et partir demain”.
Comment dire que j’ai gardé pour moi toute la sauce créole qui menaçait de déborder de ma bouche. Je me suis levée du lit, je me suis rhabillée puis j’ai appelé une cousine pour me récupérer.
16h20 : J’étais en bas de l’hôpital pour aller prendre mon bateau et rentrer chez moi sans perdre de temps pani tan palé ba pon moun au risque de rester coincée en Guadeloupe une nouvelle nuit sans réponse concrète..
“Jusqu’à ce jour, personne de l’hôpital ne m’a appelée pour me demander ni ou j’étais ni si j’étais bien rentrée chez moi à jeun toujours. D’autant plus que j’ai appris que le chirurgien qui devait m’opérer était en consultation a Marie-Galante le jour-même…donc la personne qui s’est présentée à 16h00 pour m’annoncer l’annulation de mon intervention si j’ai bien compris est la même personne qui devait m’opérer sans que j’en sois informée.
Une chose est sûre, plus jamais le CHU !”, affirme la jeune femme. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
Toujours pas opérée, elle doit maintenant se débrouiller dans un système de santé visiblement aussi cassé que sa cheville pour se faire soigner
Dans la foulée de cette aventure, Léonie contacte une clinique privée en Guadeloupe continentale afin de reprendre rendez-vous. Elle en est de 77 euros de sa poche pour la consultation au sortir de laquelle il lui est précisé que rien ne peut être décidé sans faire une IRM. Ce seront donc 77 euros pour rien pour cette fois, estime-t-elle. Cette imagerie, après renseignement pris, n’est possible qu’en février ou au mieux janvier 2022. Du côté du CHU, on nous précise en off, que la patiente aurait été notée comme opérée. Ce qui explique peut-être le fait qu’elle n’ait pas été recontactée. On avance également “des soucis de réorganisation” au sein du Centre Hospitalier Universitaire plutôt que la grève afin d’expliquer ces événements. Mais officiellement, le CHU n’a pas encore donné suite à nos sollicitations. Léonie, est-elle la seule à avoir subi ce périple au sein de l’établissement secoué par la grève des personnels contre l’application de l’obligation vaccinale des personnels soignants?